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« Nous nous attendons à un accroissement très conséquent de dossiers d’entreprises en difficulté à la rentrée », selon Thierry Montéran

De nombreuses entreprises ne pourraient pas se remettre de la crise économique due au coronavirus. Le PGE peut-il sauver toutes les entreprises en difficulté ? Peut-on craindre une avalanche de mauvaises nouvelles dans les mois à venir ? Réponses avec Thierry Montéran, avocat spécialisé en droit des entreprises en difficulté, associé au cabinet UGGC Avocats. 

Thierry Montéran
Thierry Montéran, avocat spécialisé en droit des entreprises en difficulté, associé au cabinet UGGC Avocats. 

La crise liée au confinement de l’économie a nécessité de la part du gouvernement la mise en place du prêt garanti par l’État (PGE). Malgré tout, de nombreuses enseignes sont en péril. Ces dernières semaines, André, Naf Naf, Camaïeux, entres autres, ont déclaré être en faillite et sont en redressement judiciaire.

Quel cadre juridique est applicable à la mise en place du PGE ?

Thierry Montéran : « Déployé de manière inédite, ce dispositif permet à toute entreprise d’obtenir un prêt de trésorerie auprès d’une banque pour une durée de 12 mois. L’entreprise a le choix. Elle peut décider de rembourser dès la première année soit d’amortir le prêt sur cinq ans supplémentaires, soit sur une période de 6 ans au total. Dans le détail, il s’agit d’un contrat de prêt classique, passé entre l’entreprise qui en a besoin et la banque. La principale différence se situe au niveau de la caution. Ce n’est plus le chef d’entreprise qui est caution du prêt mais l’Etat, et ce, à 90%. La banque, quant à elle, supporte les 10% de risque restant.

Que se passe-t-il en cas de refus de la banque ?

T.M. : La banque peut en effet refuser l’octroi du prêt à une entreprise. Dans ce cas, le chef d’entreprise peut se retourner vers le médiateur du crédit pour tenter d’obtenir gain de cause. Il est évident que la situation de l’entreprise est prise en compte par la banque.

Qu’en est-il pour les entreprises déjà en difficulté ?

T.M. : S’agissant des entreprises en difficulté, sont éligibles au dispositif au PGE celles qui, au 31 décembre 2019, ne se trouvaient pas en état de cessation de paiement, autrement dit les entreprises dont la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire a été ouverte après le 1er janvier 2020 sont éligibles au PGE. Toutes les entreprises pour lesquelles le tribunal a arrêté un plan de sauvegarde ou de redressement sont également éligibles quelques soit la date à laquelle le plan a été accepté. Toutes les entreprises assistées d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur, c’est-à-dire bénéficiant d’une mesure de prévention, sont également éligibles au PGE.

Près de 66 milliards de prêts ont déjà été accordés à plus de 300.000 entreprises en difficulté. Est-on encore loin du compte ?

T.M. : La mesure du gouvernement prévoit une enveloppe de 300 milliards ce qui est inédit et considérable. Effectivement, on peut dire que la majorité des entreprises mises à mal par la crise sanitaire ont déjà demandé l’aide dont elles avaient besoin. Pour rappel, ce sont des aides plafonnées à hauteur de 25% du chiffre d’affaires réalisé. Les entreprises ont d’ailleurs la possibilité de demander à leur banque d’autres prêts PGE selon leur situation financière jusqu’au 31 décembre 2020. Ainsi une entreprise qui n’aurait demandé un premier prêt qu’à hauteur de 5 % de son chiffre d’affaires pourrait selon ses besoins ultérieurs couvrir ses besoins de trésorerie avec un nouveau prêt bancaire, parfois même dans une autre banque. Le système est donc assez souple et tout est laissé à l’appréciation du chef d’entreprise et bien sûr de son banquier.

Quels sont les risques concernant cette dette pour les entreprises ?

T.M. : Le dispositif du PGE est ouvert jusqu’à la fin d’année 2020. Comme son nom l’indique le PGE est un prêt pour un an avec une faculté ouverte à l’entreprise de l’amortir sur une période additionnelle calculée en nombre d’années selon leur choix et dans la limite d’un nombre maximal de 5 ans. En tout, les entreprises peuvent donc bénéficier d’un prêt sur 6 ans. Mais la garantie par l’Etat ne sera pas gratuite et s’élèvera à 0,25% la première année, puis à 0,50% les 2ème et 3ème années, pour finir à 1% les 4ème, 5ème et 6ème années. Il faut également ajouter le coût du crédit qui est celui correspondant au refinancement par la banque de ce crédit pour lequel elle ne doit pas faire de marge. Concrètement, les entreprises en difficulté ont pu bénéficier du PGE, d’accord, mais il ne faut pas oublier qu’il doit être remboursé sur plusieurs années, et il s’ajoute d’ailleurs aux autres prêts déjà en cours dans l’entreprise.

Selon l’état de l’économie dans les mois, les années à venir , les entreprises retrouveront-elles leur chiffre d’affaires et marges d’avant la crise, pourront-elles faire face aux charges de remboursement ?

T.M. : Personne ne le sait aujourd’hui. Il faut vraiment que la reprise soit rapide. Les entreprises ont besoin de rebondir et augmenter leur chiffre d’affaires. C’est un pari sur l’avenir. Le chef d’entreprise croit toujours qu’il va s’en sortir il se bat pour cela et c’est une vraie qualité. Qu’en est-il des mois où le chiffre d’affaires a manqué ? Y-aura-t-il un rattrapage ? Toutes ces questions sont en suspens.

Quel regard portez-vous sur les prochains mois ?

T.M. : Je reste prudent. Nous nous attendons au cabinet à un surcroît de demandes de conseils et d’accompagnements d’entreprises en difficulté dès cet été et principalement en septembre voire octobre. Nous nous y sommes préparés. Tout dépendra de la reprise. Comment les entreprises qui se font aider actuellement vont-elles tenir sur la durée ? Certaines ont dû suspendre les loyers en mars et avril voire en mai, mais elles devront recommencer à les payer dès le mois d’août et il faudra bien rembourser les arriérés en plus des loyers en cours. Autre cas de figure, les entreprises qui avaient déjà des crédits, en leasing ou autres, devront ajouter une nouvelle ligne de crédit à leurs comptes. Le PGE ne change en rien les difficultés d’une entreprise. Il retarde la constatation d’une situation désespérée en amortissant ses effets sur plusieurs années.  Il permet le remboursement des dettes de l’entreprise et donc de continuer à faire tourner l’économie. Mais il s’agit d’un crédit comme un autre, qui doit être remboursé. Que se passera-t-il pour les entreprises qui ne peuvent plus le faire ? Elles devront s’adresser à leur avocat, qui avec l’expert-comptable les accompagnera dans cette période difficile.

Que peut-il se passer si la reprise n’est pas au rendez-vous ?

T.M. : La loi a prévu différents outils en prévention qui comprend le mandat ad hoc et la conciliation. Ce sont des procédures confidentielles mettant autour d’une table, certains des créanciers de l’entreprise et son dirigeant pour trouver des solutions pérennes, ce qui est le cas dans deux tiers des dossiers. Si la situation est plus grave, alors une procédure de sauvegarde ou de redressement peut être ouverte lorsque la perspective d’un paiement de l’ensemble des créanciers sur une durée de 10 ans reste possible. Les commerçants, les exploitants en noms propres dont les professionnels libéraux peuvent bénéficier d’une procédure dite de rétablissement professionnel. Mais en cas d’impossibilité de payer les créanciers, il faudra demander l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Si cette procédure entraîne une cessation d’activité et la vente des actifs, elle a aussi des effets psychologiques importants vis-à-vis du chef d’entreprise qui se trouve ainsi libéré d’une pression qui n’est pas facile à vivre. Espérons donc que la reprise sera au rendez-vous et nous évitera des dizaines de milliers de faillites la fin de l’année ».